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Jésus, Jack & Daniel

La dernière fois que j’ai quitté la ville, ce fut pour une traversée de la France par la côte Ouest. J’allais de ports en plages, aux creux des dunes et des parkings, cuvant mon vin dans le coffre de ma voiture 10 jours durant. J’ai laissé aux 4 vents et aux embruns cardinaux mes traces de pas dans le sable et les flaques sales des docks, au hasard des sentiers perchés, sur les falaises et le long des bas-côtés de routes départementales. Les yeux rougis le soir venu par la beauté des horizons et la fatigue que procurent les longues marches sans but et sans heures, je m’effondrais aux pieds d’immenses phares paternes veillant sur les écueils de mes nuits.

Le bout du monde est souvent si proche...

Mon dernier voyage m’a emmené dans les berceaux de vallées bien plus proches, creusées à même la terre par quelques affluents d’une Garonne qui m’a vu naître à même ses berges, il y a bientôt cinquante ans. Le bout du monde est souvent si proche...Vallées de l’Ariège, de La Lèze, de l’Arize, Comminges, pour remonter jusqu’aux pieds de nos Pyrénées encore immaculées.


Les premiers jours, le vent s’est fait d’Autan jusqu’à m’emporter, me faire danser sous la lune et décrasser mon âme charbonnée en goulées d’un Old N°7 de 12 ans d’âge venu des Amériques. Puis le vent s’est calmé pour laisser mon cœur incertain reprendre son souffle dans les brises devenues plus légères d’un printemps bien trop précoce pour être honnête. J’ai mis la gomme face aux soleils de matins prometteurs sur des chemins aussi cabossés qu’inconnus. Je cheminais cette fois de mamelons de collines en creux de bassins et ravines, survolant la fin d’un hiver cloîtré. Je vadrouillais de forêts en berges sauvages, de clochers romans en vieilles fermes roses, sur les chemins traverses de villages jaunes et de torrents en feux de camps qui réchauffent les guitares.

refuge de pierres et de fleurs

Un matin, de toute la hauteur d’un village perché du Comminges, je suis resté paralysé. Vide et léger. Statufié telles les sculptures millénaires des chapiteaux soutenant les galeries du lieu et qui me fixaient de leurs yeux calcaires façonnés par quelques mains expertes de moines artistes dont les fantômes flottent dans l’air. Mon corps assis sur ce banc de cloître sombre, ouvert sur les montagnes, les pieds dans quelques violettes naissantes ; le temps, le monde, plus rien n’avait de prise sur moi. Liberté absolue et bienfaitrice au cœur d’un refuge de pierres et de fleurs, à part, où l’histoire des hommes chuchote de pas feutrés et de courants d’airs à même les galets, de psaumes et de doutes, de prières et de contemplation…


Le silence et cet instant méditant, de bien-être béat, fût d’un coup brisé par le carillon de la cathédrale jouxtant cette antichambre déambulatoire des cérémonies et des sacrements. Je décidais alors de répondre à l’appel du carillon. La visite de la cathédrale étant interdite durant la messe du dimanche, je fis le tour du propriétaire d’un pas peu sûr mais certain. Je me délectais notamment de cet orgue spectaculaire en coin, perché sur ses colonnes comme flottant dans les airs, avec ses faux-airs de bibliothèque de Poudlar.

...l’occasion de s’épier les uns les autres, Amen.

Je n’échappais pas bien entendu au florilège de reliques de je ne sais combien de Saints d’almanach postal. Petits bouts d’os ou de molaires dans leurs écrins dorés ou mini-cercueils sous verre semés çà et là et censés rendre le fidèle encore plus pieu. Morbide. Le clou du spectacle : les stalles sculptées. Des rangées de sièges finement ornés de dentelles de bois où prenaient place les moines. Ce chœur de la cathédrale de St Bertrand de Comminges est unique et vous fige par sa beauté. Pour pouvoir en profiter pleinement je décidais de m’asseoir sur un de ces trône-stalle où quelques fidèles endimanchés attendaient visiblement le début du spectacle et n’avaient d’yeux que pour mon jean sale et mes chaussures de montagne crottées, c’est peu de le dire. Je souriais sous mon masque...

Ces regards me renvoyaient directement à des souvenirs d'enfance de quelques messes de campagne où la célébration était avant tout l’occasion de s’épier les uns les autres, Amen. Autant de coins d’œil et de murmures malsains que l’on s’appliquera à extrapoler, la bouche pleine et le rire gras, autour de quelques flageolets dominicaux, et qui feront les choux non moins gras des pires commères pour la semaine à suivre toute entière ! Même si la situation était dans son ensemble assez pittoresque je me rappelais que j’étais là pour lever le nez en l’air et épier de mon côté ces nombreuses scènes énigmatiques immortalisées dans le bois depuis des siècles. Mais au moment même où je m’armais discrètement de mon appareil photo au risque de casser un peu l’ambiance, j’étais vite rappelé à l’ordre par une entrée en scène plutôt épique d’un vieux curé chancelant, tassé sur lui-même et sur sa canne, courbé comme un point-virgule, tout de mauve vêtu et aux gants blancs délicats. Il était précédé d’un assistant brandissant vers le ciel ce qui semblait être une bible alors qu’un autre s’appliquait à sonner une cloche à la limite du supportable ; les 3 compères traversant ainsi le chœur alors que l’assemblée se levait d’un seul homme.


J’avais oublié qu’une messe est aussi une succession sans fin d’assis-debout et je me sentis subitement tout aussi con que piégé. Je décidais de rester goûter tout de même un peu de sacré à la sauce catholique et de laisser sa chance à l’impromptu, cerné de près par quelques familles modèles qui vont au moins par 6. Coupe au bol, oreilles bien dégagées à la mode scouts d’Europe et chemises amidonnées comme papa pour les garçons. Les filles en jupe-socquettes-barrettes regardant leurs pieds sous la coupe de leur Marie-Thérèse coiffée d’un carré conventionnel orné d’un serre-tête-et-pensées. Quelques paroles de Bashung me vinrent étrangement en tête parasitant je ne sais quel cantique inconnu…


Madame rêve d'artifices De formes oblongues Et de totems qui la punissent

D'un amour qui la flingue D'une fusée qui l'épingle Au ciel.



Après un bon quart d’heure de bondieuseries et de signes de croix, ce fût l’heure des lectures commentées ensuite par le M-C point-virgule au sonotone, et là, à mon grand étonnement, les textes m’ont parlé. Certes je ne crois qu’au hasard, mais ... ces histoires d’un Jésus éprouvant très souvent le besoin de fuir la foule et ses contemporains, pour s’isoler seul dans le désert et la nature...ce Christ s’éloignant de la vie trépidante des cités, dans des moments empreints de doutes afin de se retrouver et méditer de prières silencieuses ; forcément, quand vous vivez vous-même avec intensité des instants nomades et d’isolement fait de marches contemplatives en pleine nature, ces lectures tombent à pic et ne peuvent laisser indifférent. Happé, étonné, j’ai attendu qu’un rayon de lumière céleste vienne s’abattre sur moi telle une manifestation mystique, signe de révélation miraculeuse et salvatrice sur mon âme perdue au milieu de cette bien triste assemblée.

...les fidèles tombaient un à un sur leurs pauvres genoux coupables, tête basse et nuque offerte.

Je n’ai eu à la place qu’un retour à la réalité assez brutal... En effet, s’il est une règle liturgique lors de la préparation de la communion c’est bien celle que les fidèles baissent la tête en guise d’adoration quand le prêtre présente le corps et le sang du Christ avant de le distribuer à ses ouailles. Or ce jour-là, j’ai assisté à un spectacle des plus étonnant que je n’avais encore jamais vu...au lieu de simplement baisser la tête, la moitié des fidèles s’est agenouillée. Oubliés les pantalons propres du dimanche ! Tout le monde à genoux à même le sol gelé, tête baissée durant de longues minutes. Evidemment les familles en bleu marine ont ouvert le bal et tout autour de moi, alors que je faisais mon minimum syndical en me levant de mon trône de bois, les fidèles tombaient un à un sur leurs pauvres genoux coupables, tête basse et nuque offerte.


J’avais repéré un jeune pèlerin bronzé par l’aventure de Compostelle qui par son côté décalé avec son gros sac à dos et ses godillots m’avait un peu rassuré. Me tournant vers lui je m’apercevais que non seulement il avait lui aussi été frappé par l’adoration génuflexée mais qu’en plus il s’était mis à tripoter de façon compulsive un petit chapelet d’où pendouillaient quelques croix cliquetantes. Le long et languissant refrain monocorde du Je crois au St esprit, à la communion des Saints et au pardon des pêchés m’a littéralement achevé. La faim, le froid, la nausée, les lunettes embuées...au moment de la communion j’ai pris place parmi les ouailles dans la file d’attente mais au lieu de tourner à droite dans le virage, j’ai filé à l’anglaise par la gauche et me suis enfuis ne pouvant en supporter davantage. J’ai retrouvé l’air libre, le soleil et 2 degrés de plus sur le parvis de l’église. Tout me parut d’un coup si froid et menaçant dans le village. A l’opposé de ce que j’avais ressenti dans le cloître, je me sentais comme instinctivement chassé des ruelles de ce haut lieu d’adoration… J’ai fui et retrouvé le confort spartiate mais douillé de ma maison sur roues, croisant sur le bord de la route mon pèlerin coupable, son chapelet à sa chaste ceinture se balançant au rythme de ses pas décidés.

Rien n’est plus sacré que la poésie de la nature, l’émerveillement qu’elle suscite et la spiritualité faites de prières sans mots qui s’en dégage. Je repars bientôt.

En lieu et place d’un plat de flageolets postcommunion, j’ai préféré me régaler humblement d’un croupion de vieux saucisson en guise de repas dominical tout en me rinçant le gosier de sang du Christ, puis réchauffer mon âme là où je croise le plus souvent Dieu s’il en est, ...sur de gros rochers chauds en lieu et place d’autels, dans l’ombre d’immenses arbres centenaires en guise de clochers que j’aime enlacer de temps en temps, dans les cantiques d’oiseaux sauvages qui annoncent le renouveau du printemps, les délicates mélopées de sources naturelles et les crescendos des torrents au loin, dans les doux reflets dorés de mon Old N°7 le soir venu tout en attisant mon feu de pensées coquines. Et puis auprès des chevreuils, des écureuils et des renards apeurés que j’aime à croiser sur les chemins. Rien n’est plus sacré que la poésie de la nature, l’émerveillement qu’elle suscite et la spiritualité faites de prières sans mots qui s’en dégage. Je repars bientôt.



Post-scriptum :

J’ai toujours aimé les temples tant pour ce qu’ils témoignent en tant que lieux de méditation qu’en terme de témoignage historique et artistique. Leurs beautés nous incitent souvent au respect de la sérénité des lieux. Ouverts à tous (pour la plupart), on peut laisser un peu de nous par quelques mots susurrés, une bougie pour quelqu’un qu’aucun Dieu n’a sauvé, y trouver du calme, pourquoi pas un peu de force et de paix, et y pleurer en silence les yeux clos. De la petite chapelle à la grande cathédrale, les temples ont tous leur charme et j’aime y poser mon séant pour me retrouver face à moi-même, dans l’instant. Je ne fais aucune concession à tout ce que peuvent véhiculer les religions en termes de vérité incontestable et de doctrine qui ne laisse aucune place au doute pour mieux nous embrigader, nous enfermer et nous soumettre. Je ne suis pas pour autant un anticlérical bouché dans la mesure où je peux évidemment reconnaitre les paroles de paix et de fraternité qui peuvent émaner des livres. Baptisé sur le tard par des parents d’une église progressiste et ouvrière, je n’ai pourtant toujours été qu’un chrétien de registre, refusant de me plier au dogme contre lequel je m’insurge. D’aussi loin que je me souvienne je n’ai jamais compris ni accepté ce je ne suis pas digne de te recevoir présent dans le fameux et non moins fumeux « Notre-Père ». Je suis digne, je suis libre, je m’applique à être bon tout en composant avec mes convictions et mes contradictions, mon histoire et ce que je suis. S’il y a eu un Jésus, j’aime à le penser avant tout comme un personnage historique, un hippie avant l’heure et un peu perché, entouré de 12 bavards et de quelques femmes alanguies. Un va nu-pieds anar, nomade et pas d’chez nous qui a foutu un sacré bordel chez les marchands du Temple qui ont finit par avoir sa peau avec l’aide de quelques juges corrompus...fin de l'histoire.











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